[18 juillet 2024] L'OCDE vient de publier un rapport instructif sur les impacts de la décarbonation de notre société sur les emplois. On résume ci-dessous les principaux éléments qui en ressortent.
Contexte : l'OCDE - Organisation de coopération et de développement économiques - regroupe 38 pays d'Europe et d'Amérique du Nord parmi les plus avancés et riches sur le plan économique. Le document qui nous intéresse est intitulé « Perspectives de l'emploi de l'OCDE 2024 : Transition vers la neutralité carbone et marché du travail ».
L'OCDE rappelle que la décarbonation de notre société – la sortie du pétrole, du gaz fossile, du charbon, la fin de la déforestation, la décrue de l'élevage – est une impérieuse nécessité pour faire face au changement climatique. Et que l'absence d'action politique en matière d'atténuation du changement climatique a et risque d'avoir de plus en plus de conséquences dramatiques sur les emplois, en particulier ceux des plus pauvres. 13 % des travailleurs des pays européens de l'OCDE et des États-Unis souffrent déjà d'un inconfort thermique important, avec des effets négatifs sur leur santé et leur productivité. Plus nous laisserons s'accroître le réchauffement climatique, plus cette situation s'aggravera, d'autant que les régions où la proportion de travailleurs exposés à des températures élevées est déjà supérieure à la moyenne sont également celles qui devraient connaître les plus fortes hausses de température d'ici 2050.
L’OCDE distingue deux catégories d’emploi : les emplois portés par la transition écologique, à faire croitre, et les emplois des secteurs à forte intensité d’émissions de gaz à effet de serre (GES), à faire décroitre et dont la reconversion doit être assurée.
À l'heure actuelle, dans les pays de l'OCDE, 20 % des travailleurs occupent un emploi porté par la transition écologique (21 % en France). Cela prend en compte non seulement les emplois qui contribuent directement à la réduction des émissions (ex : production de pompes à chaleur) mais aussi ceux qui fournissent des biens et des services indispensables aux activités vertes (production des composants nécessaires à l'assemblage de ladite pompe à chaleur). Ces nouvelles professions vertes correspondent généralement à des emplois occupés par des travailleurs très qualifiés dans des zones urbaines, mais comprennent aussi une part non négligeable de travailleurs peu qualifiés habitant en zone rurale. Les emplois portés par la transition écologique les mieux qualifiés offrent généralement une rémunération supérieure à la moyenne, tandis que les emplois portés par la transition écologique les moins qualifiés sont souvent de moindre qualité en comparaison d'autres emplois de niveau équivalent et, de ce fait, manquent probablement d'attrait aujourd'hui aux yeux des travailleurs susceptibles de les occuper.
À l'inverse, les secteurs à forte intensité d'émissions de GES ne représentent “que” 7 % environ des emplois (5,4 % en France). Les secteurs à forte intensité d'émissions sont ceux qui représentent 80 % des émissions de GES de l'ensemble des pays de l'OCDE (majoritairement dans les secteurs agricoles – notamment dans l'élevage – et des transports – notamment la production de véhicules thermiques –, et dans des proportions moindres dans les secteurs de la construction et de l'industrie).
Dans tous les secteurs d'activité, les travailleurs qui perdent leur emploi subissent en moyenne des pertes de revenus importantes par rapport aux travailleurs qui ont gardé leur emploi. Mais l'OCDE montre que les travailleurs des secteurs à fortes émissions privés de leur emploi subissent des pertes de revenus nettement plus importantes que la moyenne suite à un licenciement - 36 % de revenus 5 à 6 ans après, contre -29 % dans l'ensemble des secteurs.
La majorité des professions à forte intensité d'émissions de GES présente des exigences en matière de compétences analogues à celles d'autres emplois, y compris ceux des professions portées par la transition écologique, ce qui donne à penser que les transitions professionnelles pour sortir de ces emplois sont possibles grâce à des reconversions ciblées. Mais la situation n’est pas la même en fonction du niveau de qualification : la transition vers les nouvelles professions portées par la transition écologique est plus difficile pour les travailleurs peu qualifiés que pour les autres.
Les professions vertes et les professions à forte intensité de GES sont plus présentes dans les zones rurales que dans les zones urbaines. Toutefois, les régions où l'incidence des professions à forte intensité de GES est la plus élevée ne sont pas nécessairement les mêmes que celles où l'incidence des professions vertes est la plus élevée. En l'absence d'action politique, il existe un risque concret d'aggravation des inégalités économiques et du chômage dans certaines régions, et un manque de main-d'œuvre dans d'autres.
Les professions portées par la transition écologique tendent à se caractériser par des salaires plus élevés et moins de contrats temporaires que les autres professions, mais sont paradoxalement souvent exposées à un risque de chômage plus important. Les emplois qui ne contribuent pas directement à la réduction des émissions mais qui sont susceptibles d'être demandés parce que leurs produits ou services seront nécessaires aux activités vertes peinent particulièrement à recruter.
Point méthodologique : l'identification des emplois portés par la transition écologique et de ceux à forte intensité de GES de l'OCDE est forcément critiquable. À titre d'exemple, plus de 7 % des salariés verront leur travail être transformé par la décarbonation de la société. Il s'agit de simplifications inhérentes à ce type d'étude qui porte sur des périmètres géographiques très larges, et cela a le mérite de focaliser l'attention sur les travailleurs dont l'emploi va être le plus remis en question par la décarbonation. Autre limitation : l’OCDE se focalise uniquement sur l’impact de l’atténuation du réchauffement climatique sur l’emploi, et pas de l’adaptation face au réchauffement climatique, ni de l’impact d’autres crises écologiques comme l’effondrement de la biodiversité sur l’emploi.
Les pouvoirs publics doivent soutenir les revenus et faciliter les transitions professionnelles, de sorte à atténuer ces pertes de revenu et à préserver le soutien à la transition vers zéro émission nette.
L'OCDE en tire plusieurs recommandations :
D'abord, même si l'OCDE ne le rappelle pas expl icitement, le préalable indispensable est d'organiser la décarbonation de l'ensemble des secteurs d'activité via une transformation des modes et des finalités de production/travail pour sortir notamment des énergies fossiles, mettre fin à la déforestation, et diminuer l'élevage.
Mettre en place des dispositifs d'aide au revenu renforcés en cas de chômage, notamment dans les secteurs à fortes émissions de GES. Des interventions précoces auprès des travailleurs menacés de licenciement peuvent limiter l'incidence et les conséquences des suppressions d'emplois. Les prestations ciblées liées à l'exercice d'un emploi, comme les systèmes d'assurance-salaire limités dans le temps, peuvent être utiles lorsque les travailleurs se voient proposer dans un nouvel emploi – surtout s'il contribue à la décarbonation – un salaire inférieur à celui qu'ils percevaient avant leur licenciement.
Élaborer des programmes d'évaluation et d'anticipation des compétences qui tiennent compte des conséquences potentielles de la transition vers la neutralité carbone (en France, nous avons de la chance : c'est un travail mené par le Secrétariat général à la planification écologique, par The Shift Project et certains chercheurs, notamment ceux du CIRED). Renforcer les services d'orientation professionnelle moyennant un effort sur leur qualité et leur couverture, et mieux faire connaître les nouvelles possibilités offertes dans les secteurs contribuant à la transition écologique pour amener les travailleurs à se former en vue de la transition vers la neutralité carbone et à saisir les opportunités offertes par celle-ci.
Les interventions des pouvoirs publics sur le marché du travail visant à accompagner et épauler les travailleurs et les acteurs locaux pendant la transition vers la neutralité carbone doivent prendre en compte la faisabilité géographique de cette reconversion, en assurant que ces reconversions puissent avoir lieu dans un périmètre géographique raisonnable.
La synthèse du rapport : OCDE (2024), Perspectives de l’emploi de l’OCDE 2024 : Transition vers la neutralité carbone et marché du travail - synthèse.
Le rapport complet (en anglais) : OECD (2024), OECD Employment Outlook 2024: The Net-Zero Transition and the Labour Market.