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Ce n’est pas une consultation, c’est du refus d'obstacle

[17 mars 2024] Selon l’Agence France Presse, le premier ministre vient d’annoncer vendredi 15 mars une "grande consultation" sous l'égide de la Commission nationale du débat public sur la stratégie énergie et climat de la France, portant sur la feuille de route énergétique de la France et sur le plan pour réduire les émissions de carbone.


Si de manière générale toutes les occasions de débattre collectivement de notre avenir sont bonnes à prendre, surtout s’agissant d’un sujet aussi crucial que celui des moyens à prendre pour faire face au changement climatique, on ne peut que se dire, en tant que professionnelles et professionnels de la transformation écologique, qu’il s’agit d’une très mauvaise nouvelle. La démocratie écologique doit aujourd’hui se construire dans les faits, par l’attention portée aux emplois et à la participation de salariés à cette transformation, à l'organisation de la conversion industrielle par l’État, et plus dans l’invocation incantatoire du débat public.


Une excuse pour ne pas publier la nouvelle stratégie française énergie-climat


Nous attendons depuis maintenant plus de six mois un projet de loi qui définisse nos nouveaux objectifs en matière de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre et de de production d’énergie bas-carbone. Nos précédentes feuilles de route en la matière sont en effet arrivées à leur terme ou bien ne sont plus plus alignées sur les nouveaux objectifs européens de décarbonation. A titre d’exemple, la France visait auparavant -40% d’émissions territoriales de gaz à effet de serre entre 1990 et 2030, ce qui était déjà loin d’être évident. En 2023, les pays membres de l’UE ont revu cet objectif et se sont mis d’accord pour viser -55% d’émissions sur la même période (“Fit for 55”), dans le but de contribuer à une atteinte rapide de la neutralité carbone planétaire.


Dans ce contexte, la nouvelle Stratégie française pour l’énergie et le climat (SFEC) a déjà fait l’objet d’une consultation citoyenne fin 2022 - début 2023, puis d’une nouvelle consultation publique du 22 novembre au 22 décembre 2023, dans la perspective d’une publication début 2024. Ce ne sont donc pas les consultations qui manquent, alors que RTE a publié plusieurs rapports montrant la faisabilité technique de différentes trajectoires de production et de consommation d’énergie, soulignant le caractère moins risqué de certaines mais surtout l’urgence à prendre des décisions, quelles qu’elles soient  !


Ce projet de loi est indispensable pour nous fixer des objectifs plus en phase avec l’urgence climatique, et nous donner les moyens de les atteindre, notamment en déployant des moyens de production d’énergie bas-carbone et en déployant plus rapidement des moyens de transport, de chauffage et de production capables de les utiliser. Hélas, le gouvernement décale de mois en mois cette discussion au Parlement, jusqu’à… décider de ne pas la mettre à l’ordre du jour jusqu’au moins cet été.


Nous voyons deux raisons à cette procrastination. Réduire beaucoup plus rapidement nos émissions de gaz à effet de serre va nécessiter des mesures contraignantes (sur l’usage de véhicules thermiques, de chaudières au gaz, etc.) que le gouvernement ne souhaite sans doute pas assumer. Leur mise en place impliquerait, pour être juste et acceptable pour la majorité de la population, des aides financières que le gouvernement rechigne à mettre en place en raison de son attachement à l’austérité budgétaire et à l’absence de recherche de nouvelles sources de financement justes. Et ce même gouvernement craint de ne pas parvenir à faire voter son projet de loi au Parlement, entre des partis de droite et d'extrême droite qui font tout pour s’opposer aux éoliennes, et des partis de gauche fermement décidés à s’opposer à la relance de l’énergie nucléaire.


D’où la proposition d’une consultation nationale sur le sujet, qui vise à temporiser et éviter l’obstacle, au détriment des dernières chances qui nous restent de nous mettre en ordre de marche pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.


Une stratégie énergie-climat, vite


Or, le chemin est étroit, et nous ne pouvons pas nous relancer dans un grand débat qui risque à nouveau de tourner autour de l’opposition caricaturale aux éoliennes ou aux centrales nucléaires [1].


Prenons un exemple. Tous les scénarios de transition énergétique produits en France ces dernières années - RTE “Futurs énergétiques”, ADEME “Transitions 2050”, The Shift Project “Plan de transformation de l’économie française”, négaWatt “négaWatt 2022” [2] - montrent dans des proportions variables que le besoin de production d’électricité va s'accroître dans les 25 prochaines années, l’électrification avec une électricité bas-carbone étant comparativement un des moyens les plus facile de décarboner nos activités.


Au vu de la durée de construction de nouvelles centrales nucléaires, cette hausse de la consommation ne pourra passer que par de nouvelles productions électriques éoliennes et photovoltaïques. Dans son dernier bilan prévisionnel, RTE estime que la décarbonation de notre société nécessitera de doubler la capacité d’installation annuelle de photovoltaïque d’ici 2035, de conserver a minima le rythme de déploiement d’éolien terrestre et de multiplier par 36 la capacité installée d’éoliennes en mer, ces ordres de grandeur restant valables avec ou sans mise en place de politiques de sobriété. La pente est forte, et tout retard pris la rendra plus raide encore. Il est donc indispensable de réévaluer dès maintenant nos objectifs de déploiement d’énergies renouvelables pour accélérer notre décarbonation, éviter des coupures de courant et limiter au maximum la consommation de gaz fossile dans les années à venir. 


Pour la période post-2035, deux chemins se dessinent pour atteindre la neutralité carbone. D’un côté, poursuivre le déploiement d’éoliennes et de panneaux solaires et y ajouter la mise en service de nouvelles centrales nucléaires. De l’autre, accélérer le déploiement de ces énergies renouvelables et faire le pari technique de la gestion de leur variabilité, notamment à l’aide d’un système de production-stockage-transport-combustion d’hydrogène de grande envergure. Mais qui peut croire que le gouvernement laisserait ce choix à la main d’une consultation nationale, alors qu’il a déjà fait le choix de la construction de nouvelles centrales nucléaires et que EDF en a lancé la construction ?


Le champ des possibles pour réussir la décarbonation de la France est de plus en plus limité - et toute procrastination supplémentaire réduira encore ce champ. Parmi les professionnels de la transformation écologique, un consensus existe sur de nombreuses politiques maintenant indispensables face au changement climatique - produire plus d’électricité et de gaz bas-carbone, électrifier les véhicules routiers et faire décroitre l’usage de la voiture au profit des transports en commun, réduire l’usage du gaz fossile dans le chauffage au profit des réseaux de chaleur urbains et des pompes à chaleur, accélérer la rénovation énergétique des passoires thermiques, remplacer le gaz fossile et le  charbon utilisé par certains processus de production par des fours électriques et de l’hydrogène bas carbone, etc. [3]


Mais le premier consensus est même davantage temporel que technique : il faut s’y mettre tout de suite.


Pour une démocratie climatique réelle


Le gouvernement a déjà montré sa capacité à lancer de grandes consultations pour ensuite ne pas en suivre les conclusions - on rappelle que les participants de la Convention citoyenne sur le climat avaient noté à 2,5/10 la reprise par le gouvernement de leurs propositions.


Des consultations sur l’avenir énergétique de la France, il y en a déjà eu : nous sortons d’une année de concertations nationales préalables à l’élaboration d’une stratégie nationale énergie-climat, d’un grand nombre de consultations locales citoyennes, et de consultations techniques. Et l’on voit bien où la boucle infernale nous mène. Car que faire après avoir relancé une nouvelle concertation ? Pourquoi pas demander une nouvelle expertise technique à RTE pour se prononcer sur la faisabilité des mix proposés ? Riche idée, car alors la publication de cette expertise dans deux ans serait l’occasion, pourquoi pas, de lancer une nouvelle concertation. Que de temps gagné pour la prise de décisions difficiles, et perdu pour la transformation écologique ! Cessons de tergiverser.


La nouvelle stratégie nationale bas carbone et la nouvelle programmation pluriannuelle de l’énergie doivent être publiées pour donner à chacun une idée claire de l’ampleur des transformations à mener pour les administrations publiques, les entreprises et les citoyens. 

Si le gouvernement est réellement désireux de mener cette décarbonation, charge à lui de l'organiser de façon à convaincre et accompagner les forces sociales qui y ont intérêt - syndicats, associations, entreprises, chercheurs, citoyens - de soutenir cette décarbonation dans l’espace public pour rendre possible son adoption au Parlement. Plutôt que d’aligner les platitudes sur le système électrique, charge à tous les partis politiques de s’emparer sérieusement du sujet d’ici 2027 et de proposer leurs modalités concrètes d’une transformation écologique d’ampleur en vue des prochaines élections présidentielles. [4]


Il restera suffisamment de choix démocratiques à trancher d’ici là sur les modalités concrètes de la décarbonation de notre pays.


Face au changement climatique, la démocratie ne peut pas être instrumentalisée comme un outil d’atermoiements perpétuels, comme un moyen de décharger l’Etat de ses responsabilités au profit de la société civile. Le gouvernement, en appelant à un nouveau cycle de consultation, prend le risque à la fois de retarder l’action réelle, et d’enraciner dans la société l’idée selon laquelle la démocratie est démunie face à cette crise.



Le collectif Construire l’écologie




 

[1]  Sujet de discorde fatale dès que l’on ouvre le débat sur l’avenir énergétique de la France. Alors que les groupes de travail de préparation de la Loi de programmation énergie-climat associant parlementaires, élus locaux, associations et filières professionnelles avaient soulevé des sujets cruciaux comme le développement de la chaleur renouvelable, le respect du bouclage biomasse et la mise en œuvre concrète de politiques de sobriété.


[2] A l’exception du scénario S1 de “Transitions 2050” de l’ADEME, qui implique néanmoins la mise en œuvre de politiques collectives de sobriété énergétique d’une ampleur telle qui ne sont soutenues à l’heure actuelle par aucun parti politique. Si on était désagréable, on rappelle qu’au stade où nous en sommes, au delà de l’idée de sobriété énergétique, qu'aucun parti à date ne porte dans le débat publique de modalités concrètes de mis en place des politiques collectives de sobriété les plus efficaces, tant en terme de baisse des émissions de gaz à effet de serre que de préservation de la biodiversité - contraindre la réduction de l’usage de la voiture et de l’avion au profit des transports en commun et du vélo, cesser la construction de nouvelles maisons individuelles, limiter la consommation de viande au profit de protéines végétales, etc.


[3] Liste non exhaustive, tant pour nous décarboner que pour préserver la biodiversité, limiter les pollutions, et de façon générale organiser notre mise en sécurité écologique en respectant les limites planétaires.


[4]  Le Parti Communiste Français s’y est mis en publiant une proposition de plan “Empreinte 2050”. On ne peut qu'espérer que les autres partis qui souhaitent être sérieux sur la question s’y mettent rapidement.

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