Les syndicats doivent s’opposer au greenblaming
- Construire l'écologie
- 6 mai
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Tribune parue dans la revue Cadres de la CFDT d'avril 2025 larevuecadres.fr
Nous mettre en sécurité face aux crises écologiques implique pour la France, dans les vingt-cinq prochaines années, de cesser de brûler du pétrole, du gaz fossile et du charbon, de limiter nos autres activités à l’origine d’émissions de gaz à effet de serre - notamment la production de ciment sans captage de CO₂, l'élevage bovin, l'épandage d'engrais azotés et la déforestation que nos consommations alimentaires causent dans d’autres pays -, de limiter au maximum l'artificialisation de nouveaux sols (dont la moitié est à l’heure actuelle causée par la construction de maisons individuelles) et de réduire fortement l'usage de pesticides.
Les moyens techniques pour y parvenir sont bien identifiés : substituer aux énergies fossiles des énergies bas carbone (notamment en électrifiant massivement nos moyens de transport, de chauffage et de production industrielle) et réduire notre consommation d'énergie avec des politiques d'efficacité et de sobriété énergétique, matérielles et d’usage des sols. Cet état des lieux des transformations nécessaires est largement connu et fait consensus dans le champ de la recherche scientifique, même si les politiques à mettre en œuvre pour y parvenir sont sujettes à des débats légitimes, entre taxations, marchés carbone, normes, interdictions, quotas, subventions ou incitations non contraignantes.
Mais nous sommes actuellement dans une période étrange où, plutôt que de débattre des meilleures politiques à mettre en œuvre pour y parvenir et assurer aux travailleurs des nombreux secteurs impactés par la transformation écologique de conserver ou d’obtenir un travail valorisant, correctement rémunéré et dans des conditions acceptables, le débat public, politique et médiatique est monopolisé par les tenants de l’inaction, voire de la déconstruction des politiques de transformation écologique déjà gagnées.
Ils le font à l’aide d’un outil qui, depuis plusieurs années, s’ajoute au greenwashing bien connu, et qui consiste à verdir artificiellement l'image d'une entreprise ou d'une activité sans engagement réel. Nous appelons cette nouvelle stratégie le greenblaming (Construire l’écologie, 2024. Greenblaming. La construction de l’épouvantail écologique. Construire l’écologie. Disponible sur : https://urlr.me/hESBVP) : une stratégie qui consiste à discréditer les politiques de transformation écologique en leur attribuant des torts exagérés ou mensongers pour les remettre en cause. Les exemples récents de greenblaming abondent : les voitures électriques sont décriées comme étant écologiquement plus nocives que les véhicules thermiques (faux, tant sur le plan des émissions de gaz à effet de serre, de polluants de l’air ou d’extraction des ressources) ou à l’origine de la hausse récente du prix des voitures neuves (faux aussi, cette hausse étant plus ancienne et majoritairement due à la recherche de marge des constructeurs). Les pompes à chaleur ne fonctionneraient pas en période froide (faux toujours, la meilleure preuve étant que les pompes à chaleur sont le plus utilisées dans les pays nordiques, peu connus pour leur climat tropical), consommeraient trop d’électricité pour pouvoir remplacer les chaudières à gaz sans être à l’origine de pénuries (le gestionnaire de réseau électrique français a montré le contraire à plusieurs reprises) et nous rendraient dépendants des producteurs chinois (alors que, jusqu’à une période récente, la France était majoritairement exportatrice de PAC et que les chaudières à gaz nous rendent bien plus fortement dépendants des pays fournisseurs de gaz fossile).
Il ne s’agit là que de quelques exemples, qui ont des conséquences politiques graves en France : remise en cause globale de l’existence du Pacte Vert européen, à un moment où la priorité devrait être, au contraire, de mettre en œuvre les politiques de soutien aux activités agricoles et industrielles qui le rendent possible, tentatives de remise en cause de l’interdiction de vente de véhicules thermiques neufs en 2035, impossibilité d’organiser la fin de l’installation de nouvelles chaudières à gaz, détricotage de la loi Zéro artificialisation nette, opposition au déploiement de moyens de production d’électricité bas carbone, remise en question de l’existence d’agences essentielles comme l’Ademe ou l’Office français de la biodiversité, etc. - les exemples sont innombrables. La Commission européenne l’a prouvé en proposant le 26 février 2025 une loi réduisant fortement l’ambition des exigences de responsabilité sociale des entreprises qui viennent tout juste d’entrer en vigueur : même si certaines des simplifications pourraient être justifiées, ces réglementations deviennent des boucs émissaires pour ne pas rendre les entreprises responsables des impacts liés à leur activités.
Il ne s’agit pas ici de laisser croire qu’il n’est pas légitime de remettre en question une politique écologique - certaines sont effectivement inefficaces, voire socialement injustes. Il est absolument nécessaire de faire en sorte, par tous les moyens possibles, que les politiques publiques soient à la fois efficaces et justes, et de contester celles qui ne le sont pas. Mais de plus en plus souvent, des critiques sont inventées dans le seul but de faire échouer une transformation vue comme trop contraignante, pour protéger des intérêts économiques ou se soustraire à un changement de comportement. En parallèle de ces attaques devenues systématiques contre tout projet ou politique publique écologique, les nouveaux opposants à l’écologie n’affichent pas de contre-propositions ambitieuses, en tout cas certainement pas à la hauteur des enjeux environnementaux.
Ces opérations de greenblaming sont majoritairement portées par les droites et extrêmes droites politiques européennes, les presses et médias conservateurs, ainsi que certaines entreprises ou leurs représentants qui pensent être dans leur intérêt de ralentir le processus de transformation écologique. En France, on voit notamment certains constructeurs automobiles s’opposer au paiement de pénalités dues à leur trop faible vente de véhicules électriques - faibles ventes pourtant dues à la volonté de préserver leur marge plutôt que de rendre ces véhicules accessibles au plus grand nombre - et certaines entreprises gazières s’opposer aux politiques voulant réduire fortement nos besoins en gaz fossile, sous prétexte du remplacement prochain de ce gaz fossile par du biogaz - alors que tous les scénarios prospectifs montrent que le biogaz pourra au mieux répondre à la moitié de nos besoins actuels de gaz.
Plus préoccupant encore, ces stratégies parviennent parfois à convaincre des salariés et leurs représentants syndicaux de s’aligner sur les positions de leurs employeurs en se faisant le relais de ce greenblaming, par crainte légitime de perdre leur emploi.
Dans ce contexte, il est au contraire essentiel que les salariés et syndicats défendent des politiques écologiques justes, efficaces, rapides et d’ampleur. Une transition bien organisée peut permettre non seulement de nous mettre en sécurité face aux catastrophes climatiques et écologiques à venir, mais aussi d'assurer des emplois de meilleure qualité et une rémunération juste. Cela ne pourra être possible que si les salariés et leurs représentants non seulement se mobilisent activement pour soutenir ces transformations, mais aussi exigent que les politiques de transition écologique soient assorties de garanties en matière de formation et de reconversion professionnelle vers les nouveaux métiers que ces changements vont générer. La CFDT en a donné un bon exemple avec son rappel établissant les pistes à suivre pour une transition juste et efficace du secteur automobile vers la production de véhicules électriques de taille raisonnable (CFDT, FNH, 2021. Transformation et transition dans la filière automobile. CFDT, FNH. Disponible sur : https://urlr.me/knDRGb). Ce travail - l’identification des politiques nécessaires pour réussir la transformation écologique d’une filière, en se basant sur les scénarios de décarbonation existants en France - SNBC, Ademe, The Shift Project, négaWatt, RTE - et en travaillant avec des chercheuses et chercheurs, mériterait d’être reproduit dans les branches les plus concernées par les enjeux de transformation écologique.
Le greenblaming représente une menace pour la transition écologique et pour les travailleurs eux-mêmes, en retardant des évolutions indispensables et en rendant les inéluctables transformations des emplois d’autant plus brutales et injustes qu’elles n’auront pas été anticipées. S’opposer à la transformation écologique ne protège pas l’emploi, mais fragilise au contraire les salariés en les exposant à des ajustements subis. L’action syndicale est essentielle et peut contribuer à obtenir des politiques de transformation écologiques planifiées, anticipées et socialement justes, et enthousiasmantes.