Décarboner, c’est moderniser et améliorer nos vies
- Construire l'écologie
- 14 juil.
- 9 min de lecture
Dernière mise à jour : 15 juil.
Les politiques climatiques font face depuis 2023 à une offensive organisée de la part de nombreux groupes d’intérêt et d’organisations politiques. La décarbonation perd en légitimité, son fondement technique, social et environnemental est menacé, et les contraintes qu’elle exerce sont exacerbées pour décourager la population. Il est devenu de bon ton de descendre en flèche les politiques de décarbonation en raison des coûts et des contraintes qu’elles imposent. Diagnostic de performance énergétique (DPE), interdiction de location des passoires thermiques, fin annoncée de la vente des véhicules thermiques en 2035, interdiction d’installation de nouvelles chaudières au fioul et au gaz fossile, etc. : autant de mesures souvent décrites comme à la fois inefficaces et stupides.
Si ces coûts et contraintes qu'impliquent ces politiques sont bien réels, ce discours occulte un fait essentiel : l’organisation progressive - et encore trop timorée - de la décarbonation de notre société, engagée depuis une quinzaine d’années est une formidable modernisation de nos façons de nous déplacer, de nous chauffer, de produire et de nous alimenter. Cette modernisation a déjà lieu, a déjà une utilité, tant en matière d’atténuation du réchauffement climatique que pour améliorer nos vies de tous les jours. Mais elle est souvent vécue passivement, comme quelque chose qui s’impose à nous par la réglementation, et trop peu d’acteurs osent en décrire et en saluer les bienfaits. Cette vision positive de la transformation technique pour le climat est pourtant nécessaire, non seulement pour légitimer les politiques climatiques, mais aussi pour montrer qu’un avenir soutenable et désirable est possible.
Le collectif Construire l’Ecologie a fait l’exercice de dresser la liste de ces bénéfices, pour que l’action climatique ne soit plus un pensum, un pis aller, ou un privilège de certains. Le monde des énergies fossiles et de l’excès écologique est obsolète, il est temps d’en prendre conscience.
Déjà plus d’un million de voitures électriques sur les routes
En France, les politiques de décarbonation ont déjà contribué à faire passer 1,3 million de voitures à l’électrique (3 % du parc automobile en circulation en 2025[1]). Ces véhicules électriques permettent déjà de se déplacer, en :
profitant d’un meilleur confort de conduite,
ayant la possibilité de recharger son véhicule à domicile,
limitant fortement la pollution de l’air générée par le véhicule (abrasion des pneus et des freins comprise[2]),
circulant à coût raisonnable, étant dans un nombre croissant de cas moins onéreux que les véhicules thermiques qu’ils remplacent, si l’on considère l’ensemble des coûts d’acquisition et d’usage,
ouvrant la possibilité d’une production automobile essentiellement basée sur le recyclage des véhicules précédents, grâce à la recyclabilité des batteries - un objectif hors de portée pour les véhicules thermiques, dont le pétrole est brûlé, donc inéluctablement émis et perdu dans l’atmosphère,
réduisant notre dépendance - et notre financement -de pays pas forcément amicaux qui nous fournissent en pétrole (Russie, Etats-Unis et Moyen-Orient en tête),
relocalisant une partie de la production de véhicules et de batteries en France, créant ainsi des emplois utiles et correctement rémunérés,
générant beaucoup moins de nuisances sonores,
et en limitant le réchauffement climatique, en divisant par deux à cinq les émissions de gaz à effet de serre - fabrication et usage compris - par rapport à un véhicule thermique[3].
Les politiques de décarbonation ont contribué à ces progrès, déjà visibles, particulièrement pour celles et ceux qui possèdent une voiture électrique. Les politiques ayant le plus d’impact en la matière sont notamment le bonus-malus écologique à l’achat, le leasing social qui permet aux ménages modestes de s’équiper de véhicules électriques, les normes CO₂ et l’interdiction à venir de la vente de véhicules thermiques qui s’imposent aux constructeurs automobiles, pour ne citer que les principales. Ces mesures doivent être mises à la bonne échelle pour toucher une plus vaste population et faire goûter à toutes et tous aux avantages de la mobilité bas-carbone.
Maintenant plus de déplacements à vélo qu’en voiture dans plusieurs grandes villes
Les politiques de décarbonation ont également facilité l’usage du vélo en France, notamment en ville, aux dépens de la voiture. À Paris, par exemple, la part des déplacements à vélo est passée de 3 % à 11 % entre 2010 et 2023, et elle est maintenant bien supérieure à celle de la voiture[4]. Cet usage accru du vélo permet déjà de se déplacer en apportant les mêmes avantages d’un véhicule électrique, et en ajoutant d’autres bénéfices pour les cyclistes, notamment en :
gagnant du temps par rapport à la voiture en zone urbaine,
réduisant à néant le bruit et la pollution de l’air générés par ces déplacements,
améliorant la santé des cyclistes, grâce à l’activité physique régulière qu’ils pratiquent,
diminuant très fortement les dépenses de transport,
libérant de l’espace public pour tout le monde, grâce à un encombrement bien moindre qu’un véhicule motorisé,
et en ne générant quasiment aucune émission de gaz à effet de serre, fabrication et usage compris.
Les politiques de décarbonation ont contribué à cet essor, notamment grâce aux investissements dans les infrastructures cyclables et aux aides à l’achat. Elles doivent se poursuivre en contribuant à créer une véritable culture de la mobilité cyclable dans les grandes villes, avec un meilleur partage de l’espace et du temps.
Les pompes à chaleur chauffent efficacement plusieurs millions de logements
Les politiques de décarbonation ont également permis de diffuser largement l’usage d’un nouveau moyen de chauffage, en France : les pompes à chaleur, avec 2,8 millions de logements désormais équipés en 2023 (environ 9 %, contre seulement 850 000 en 2016[5]). Ces systèmes de chauffage permettent déjà de à leur propriétaire de :
se chauffer de façon fiable, avec un haut niveau de satisfaction des ménages équipés,
se chauffer de façon extrêmement efficace, en consommant très peu d’électricité,
réduire ses factures de chauffage, après un investissement initial important à l’installation,
éliminer totalement les émissions de polluants de l’air générée sinon par la combustion de bois, de fioul ou de gaz,
réduire fortement notre dépendance au gaz fossile importé, souvent en provenance de pays qui utilisent cette dépendance contre nous (Russie, pays du Golfe, États-Unis[6]),
rafraîchir les logements en été, dans le cas des PAC air-air réversibles, en apportant un confort accru face aux vagues de chaleur,
et de diminuer à un niveau quasi nul les émissions de gaz à effet de serre liées au chauffage, tout au long de leur cycle de vie.
Les politiques de décarbonation ont contribué à ce début de diffusion massive, notamment grâce aux aides à l’achat (MaPrimeRénov’), à la réforme du DPE, à l’interdiction progressive de la location des passoires thermiques, et à l’interdiction d’installation de nouvelles chaudières au fioul. La pompe à chaleur doit devenir l’option par défaut de chauffage et de climatisation, l’option efficace et démocratique de lutte contre la vie chère.
18 % de baisse de consommation d’énergie dans les logements en 10 ans
Contrairement à ce qu’on entend trop souvent, les politiques de décarbonation ont déjà permis d’améliorer significativement l’efficacité énergétique des logements en France, avec à la clé une baisse de 18 % de la consommation d’énergie par logement entre 2012 et 2022 (corrigé du climat, donc hors besoin moindre du chauffage du faire du réchauffement climatique[7]). Tout n’est pas lié à l’isolation thermique des logements : une part de cette baisse est liée à l’amélioration des systèmes de chauffage, une autre à un moindre usage du chauffage, en partie du fait de la hausse des prix de l’énergie. Mais cette tendance était déjà visible avant la crise du Covid. La rénovation thermique a permis, pour les habitants des logements concernés :
d’améliorer nettement leur confort, notamment pour celles et ceux vivant auparavant dans des passoires thermiques, où il est difficile de se chauffer correctement et d’éviter l’humidité,
de réduire leurs factures de chauffage, ou, dans les passoires thermiques, d’augmenter le chauffage à une température décente pour un coût identique (qui n'entraîne pas forcément de baisse de consommation d’énergie globale, donc, mais représente un rattrapage indispensable, qui permet à ces ménages de vivre enfin dans des conditions dignes),
de diminuer les émissions de polluants atmosphériques des logements encore chauffés avec des systèmes polluants,
de mieux supporter les vagues de chaleur en été, lorsque les rénovations thermiques l’ont bien anticipé,
et de réduire les émissions de gaz à effet de serre liées au chauffage puisqu’on en réduit la sollicitation.
Les politiques de décarbonation ont largement rendu possible cette amélioration de l’efficacité énergétique des logements : aides à la rénovation (MaPrimeRénov’), réforme et généralisation du DPE, interdiction progressive de la mise en location des passoires thermiques, et accompagnement des rénovations globales performantes.
Les procédés industriels s’électrifient et sont déjà devenus plus efficaces
En France, les politiques de décarbonation ont permis de commencer à électrifier davantage les procédés industriels - la part de l’électricité dans l’énergie consommée est passée de 34 % à 37 % entre 2011 et 2023 - et de réduire la consommation d’énergie à valeur ajoutée équivalente, avec une baisse de 35 % entre 1990 et 2023[8]. Ces évolutions ont plusieurs avantages concrets :
des coûts d’exploitation moins sensibles aux chocs sur les prix du gaz ou du pétrole,
moins de dépendance aux pays qui nous fournissent en gaz fossile ou en charbon,
moins de pollution de l’air générés par des combustions, notamment autour des sites industriels,
des procédés plus propres (mieux vaut travailler à côté d’un four à arc électrique qu’un cubilot au charbon), souvent automatisés, qui améliorent les conditions de travail,
et une réduction des émissions de gaz à effet de serre - à production équivalente, les émissions de l’industrie ont baissé de 7 % entre 2015 et 2023 (les bénéfices auraient évidemment été plus importants avec une stratégie plus ambitieuse de relocalisation des activités essentielles, mais ils existent déjà, hors délocalisations).
Ces progrès ont été facilités par les politiques de décarbonation : aides publiques à l’électrification, marché européen du carbone (EU ETS), et normes d’efficacité plus strictes. Ils ont aussi été rendus possibles par la production d’une électricité bas-carbone et peu polluante, grâce à notre parc nucléaire et hydraulique historique, et au développement rapide de l’éolien et du solaire[9]. Les politiques industrielles de transition sont l’exemple type d’une convergence entre opportunités économiques, environnementales et sociales qui constituent un espoir réel pour les classes moyennes et populaires.
Des politiques suffisantes et satisfaisantes ? Pas du tout, mais elles existent et nous bénéficient déjà
Ces transformations ne sont pas assez rapides. Et parfois, elles ne sont pas aussi efficaces ou justes qu’il le faudrait. Les véhicules électriques vendus devraient être de taille et de poids plus raisonnables, pour maximiser les bénéfices écologiques qu’ils entraînent. Le réseau ferré devrait être étendu et sa mise en concurrence stoppée. L’industrie des pompes à chaleur devrait être beaucoup mieux soutenue. Les politiques de décarbonation devraient transformer plus en profondeur les activités agricoles. Les mesures politiques devraient être solidement établies et maintenues dans le temps, pour donner à toutes et à tous un cap clair. Et ces transformations, qui créent déjà des emplois - les projets déjà initiés, s’ils arrivent à leur terme, en généreront 170 000 d’ici 2035 en France[10] - devraient mieux protéger les salariées et salariés aujourd’hui coincées et coincés dans des emplois écologiquement insoutenables[11].
Plus globalement, le financement de ces politiques est largement insuffisant pour accélérer cette modernisation et l’étendre à l’ensemble de la société. Et le courage politique fait défaut pour mettre en place les mesures de redistribution économique et les réglementations contraignantes nécessaires pour y parvenir.
Mais ces transformations existent, et même si elles sont insuffisantes, elles ont déjà marché. Elles apportent déjà des bénéfices concrets à celles et ceux qui en profitent, et à l’ensemble de la société. Stopper les politiques de décarbonation reviendrait à passer à côté de la possibilité - dans le temps court que nous avons devant nous, 25 ans, l’échéance qui nous sépare de la neutralité carbone en 2050 - de partager cette grande modernisation et amélioration de nos moyens de transport, de chauffage, d’alimentation et de production à toute la société. D’avoir une vie plus agréable, plus propre, plus sécurisée.
Tant que ce qui est déjà là restera ignoré ou nié par une part importante de la population, il sera impossible d’en faire profiter tout le monde. Contrairement à ce qu’on entend souvent, la transition écologique a commencé - et elle connaît déjà des succès. Faire connaître les progrès déjà permis par ces politiques est indispensable pour identifier les transformations nécessaires face au réchauffement climatique, et pour améliorer nos vies.
[1] AVERE-FRANCE. « Baromètre mai 2025 : 29 715 véhicules immatriculés, en baisse de 18,1 % par rapport à mai 2024 », Avere-France, 10 juin 2025, https://www.avere-france.org/publication/barometre-mai-2025-29-715-vehicules-immatricules-en-baisse-de-18-1-par-rapport-a-mai-2024/.
[2] AIRPARIF. « Émissions du trafic routier : NO₂, PM₂,₅ et GES ». Airparif, 2024. Disponible sur : https://www.airparif.fr/sites/default/files/inline-images/emissions%20trafic%20routier%20NO2%20PM25%20GES.jpg.
[3] BON POTE, « La voiture électrique, solution idéale pour le climat », Bon Pote, 3 mars 2023, https://bonpote.com/la-voiture-electrique-solution-ideale-pour-le-climat/.
[4] INSTITUT PARIS RÉGION. Enquête régionale sur la mobilité des Franciliens. Paris : Institut Paris Région, avril 2024. Disponible sur : https://www.institutparisregion.fr/mobilite-et-transports/deplacements/enquete-regionale-sur-la-mobilite-des-franciliens/.
[5] SERVICE DES DONNÉES ET ÉTUDES STATISTIQUES (SDES). Consommation d’énergie par usage du résidentiel. Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, 25 mars 2025. Disponible sur : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/consommation-denergie-par-usage-du-residentiel.
[6] CONSTRUIRE L’ÉCOLOGIE, « Chaque euro dépensé pour la transformation écologique est un euro investi pour la stabilité, pour la paix », Construire l’écologie, 18 mars 2025, https://www.construirelecologie.fr/post/chaque-euro-d%C3%A9pens%C3%A9-pour-la-transformation-%C3%A9cologique-est-un-euro-investi-pour-la-stabilit%C3%A9-pour-la.
[7] SERVICE DES DONNÉES ET ÉTUDES STATISTIQUES (SDES). Tableau de suivi de la rénovation énergétique dans le secteur résidentiel. Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, 21 mars 2025. Disponible sur : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/tableau-de-suivi-de-la-renovation-energetique-dans-le-secteur-residentiel.
[8] SERVICE DES DONNÉES ET ÉTUDES STATISTIQUES (SDES). Chiffres clés de l’énergie – Édition 2024. Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, septembre 2024. Disponible sur : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/chiffres-cles-de-lenergie-edition-2024.
[9] CONSTRUIRE L’ÉCOLOGIE, « Faut-il dénoncer le développement à marche forcée des énergies renouvelables », Construire l’écologie, 7 décembre 2024, https://www.construirelecologie.fr/post/faut-il-d%C3%A9noncer-le-d%C3%A9veloppement-%C3%A0-marche-forc%C3%A9e-des-%C3%A9nergies-renouvelables.
[10] MAKAROFF, Neil. « Arrivée du RN à Matignon : le risque d’un grand plan social dans l’industrie verte ». Fondation Jean-Jaurès, 25 juin 2024. Disponible sur : https://www.jean-jaures.org/publication/arrivee-du-rn-a-matignon-le-risque-dun-grand-plan-social-dans-lindustrie-verte/.
[11] CONSTRUIRE L’ÉCOLOGIE, « Les syndicats doivent s’opposer au greenblaming », Construire l’écologie, 6 mai 2025, https://www.construirelecologie.fr/post/les-syndicats-doivent-s-opposer-au-greenblaming.