Nous avons besoin d’un cap climatique pour 2040 !
- Construire l'écologie
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Dernière mise à jour : il y a 13 heures
Pour les dix ans de l’Accord de Paris, la France doit conserver son leadership climatique et soutenir l’objectif européen de réduction des émissions de CO2 de -90% d’ici à 2040. La fixation de ce nouvel objectif doit s’accompagner de politiques industrielles, commerciales et sociales permettant l’atteinte des objectifs climatiques à horizon 2030, 2040 et 2050.
L’actualité écologique des derniers mois a été dictée par les attaques des milieux économiques, de la droite et de l’extrême droite contre les politiques écologiques. À l’aide d’une utilisation inédite du greenblaming[1], ces attaques mettent en danger les politiques françaises et européennes de transformation écologique.
Certaines politiques ont déjà été affaiblies, comme les objectifs européens d’électrification des ventes des constructeurs automobiles pour 2025 ou le principe zéro artificialisation nette (ZAN) en France pour certains projets industriels. D’autres politiques ont même été complètement remises en cause, avec la suppression en cours des zones à faibles émissions (ZFE) ou la tentative de moratoire sur le déploiement des énergies renouvelables électriques (solaire et éolien).
Pourtant, l’urgence climatique et écologique est toujours plus d’actualité, comme le prouve le dépassement maintenant inéluctable de +1,5°C de réchauffement au niveau mondial[2], visible au quotidien par la vague de chaleur qui étouffe la France ces derniers jours.
Face aux progrès de l’industrie verte et du déploiement des renouvelables en Chine et aux reculs désastreux des États-Unis, la France et l’Union européenne (UE) doivent redoubler d’exemplarité dans la baisse de leurs émissions et dans leurs efforts diplomatiques sur le climat.
Une occasion unique de renverser la tendance de reculs écologiques doit être saisie aujourd’hui : pour les dix ans de l’accord de Paris, les États doivent se fixer de nouveaux objectifs climatiques ambitieux pour les dix prochaines années d’ici fin septembre, en amont de la COP 30 qui aura lieu du 10 au 21 novembre 2025 à Belém (Brésil).
Pourquoi -90% ?
Aujourd’hui, la Commission européenne propose de réviser la loi climat européenne pour y inscrire un objectif de réduction de 90% des émissions de CO2 nettes d’ici 2040 par rapport à 1990.
Dans la lignée de l’objectif de réduction de 55% fixé pour 2030, ce nouvel objectif est essentiel pour planifier à long terme nos politiques climatiques, industrielles et sociales. Il est issu de la recommandation scientifique du Conseil consultatif scientifique européen sur le changement climatique[3] (l’équivalent européen du Haut conseil pour le climat), qui est aussi soutenue par une coalition de plus de 150 entreprises et investisseurs[4] dont Danone, EDF ou Leroy Merlin.
Pourquoi -90% ? C’est une question de cohérence : le rapport montre clairement que pour rester compatible avec l’Accord de Paris et garantir la neutralité carbone en 2050, l’UE doit viser une réduction des émissions de GES de 90–95 % d’ici à 2040 par rapport à 1990. Ce jalon intermédiaire découle d’une analyse de plus de 1 000 trajectoires modélisées qui restreignent le budget carbone à un maximum de 14 GtCO₂e entre 2030 et 2050. Rappelons ici que la seule atteinte de l’objectif de neutralité carbone en 2050 ne suffit pas : plus la réduction des émissions est rapide, plus les émissions cumulées sont minimisées, et donc plus la dérive climatique est atténuée.
Par ailleurs, si l’objectif semble très ambitieux, il peut être atteint très majoritairement avec des technologies déjà existantes - en matière de mobilité, de chauffage, d’industrie, d'alimentation comme de production d’énergie. En complément, des changements de comportement organisés par la politique publique permettront de réduire la faible part des émissions que nous ne savons pas en l’état réduire de façon crédible uniquement grâce aux progrès technologiques de ces dernières années. L’UE n’est pas la seule à se doter d’objectifs jalons ambitieux : à titre d’exemple, le Royaume-Uni s’est déjà fixé un objectif de baisse de ses émissions de GES de -81% d’ici 2035 - les deux tiers de cette baisse ayant déjà été atteints[5].
Une stratégie ambitieuse de réduction des émissions de gaz à effet de serre est moins coûteuse sur le long terme que des approches qui le sont moins, car elle contribue à éviter les conséquences économiques graves d’un réchauffement incontrôlé. Dans un contexte de tensions internationales marqué par la guerre en Ukraine, cela permet à l’UE de gagner en souveraineté et contribue à sa sécurité[6]. Réduire drastiquement l’usage de combustibles fossiles contribue aussi à limiter fortement des activités nocives pour la santé, par exemple via la pollution de l’air qu’elles entraînent, et les coûts associés. Plus globalement, cet objectif (-90% de GES en 2040) est l’opportunité d’accélérer la grande modernisation de nos réseaux électriques, de garantir à toutes et tous des transports et des bâtiments agréables et robustes, et de créer des emplois durables dans ces secteurs émergents, là où “ralentir, c’est périr”[7].
Enfin, l’UE projette l’image d’un leader mondial en matière de climat. Sans ambition forte, elle perdrait en crédibilité face aux autres acteurs internationaux. A contrario, l’adoption de cet objectif aurait un effet d'entraînement[8] : des pays alliés et des investisseurs comptent sur ce signal pour orienter leurs propres trajectoires et favoriser les financements dans la décarbonation.
Par ailleurs, fixer rapidement ce type de jalon fournirait aux investisseurs et industries une visibilité claire, favorisant les financements massifs dans les technologies bas-carbone, la production et le stockage d’énergie.
Le nouvel horizon de la politique climatique européenne
10 États membres de l’Union européenne dont l’Allemagne, l’Espagne, la Belgique ou les Pays-Bas soutiennent déjà cet objectif de -90% tandis que la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie et la République tchèque veulent l’affaiblir.
Au milieu de ces deux camps, la France fait partie du groupe des pays encore indécis, mais Emmanuel Macron a montré ces derniers jours des signaux négatifs[9]. En effet, en suggérant de repousser la décision sur l’objectif 2040 et de fixer uniquement un objectif pour 2035, il ouvre la voie à des objectif moins ambitieux. En effet, l’objectif pour 2035 devrait être validé à l’unanimité des États de l’UE plutôt qu’à la majorité qualifiée, ce qui supposerait de devoir davantage composer avec les États les moins allants en matière de décarbonation.
Autrement dit, découpler la discussion entre 2035 et 2040 amènera certainement à affaiblir les objectifs climatiques.

La France ne peut plus rester à la traîne de l’Europe et doit rejoindre le groupe des -90%
Pays d’origine du pilier de la diplomatie internationale sur le climat, l’Accord de Paris, la France avait été un moteur pour l’Europe en 2020 lorsque l’UE s’était fixé un objectif de -55% d’émissions de CO2 pour 2030, et l’action d’Emmanuel Macron avait été décisive.
Nous sommes aujourd’hui au carrefour de la transition climatique : l’Europe a mis en œuvre des politiques structurantes dans le cadre du Pacte vert et celles-ci sont en train de faire leur effet, mais nous arrivons « dans le dur » de la transition, où les défis économiques, industriels et géopolitiques se font le plus ressentir.
L’Europe a le choix entre le recul, synonyme de défaite climatique et de désastre industriel, ou le renforcement du cap avec la décarbonation comme boussole de l’économie et source de sa compétitivité.
Nous appelons la France à faire le choix du climat et de la prospérité économique, grâce à la prévisibilité donnée par un objectif de -90%.
Fixer l’objectif 2040 dans le cadre d’une politique européenne intégrée de décarbonation
Au Conseil européen du 26 juin, en parallèle d’appeler au découplage entre les objectifs climatiques pour 2035 et 2040, Emmanuel Macron a insisté sur la nécessité d’atteindre d’abord les objectifs pour 2030. C’est en effet essentiel, et cela suppose de mettre en œuvre les politiques prévues (en France la Stratégie nationale bas carbone et la Programmation pluriannuelle de l’énergie). La Commission européenne a estimé que la mise en œuvre complète des plans nationaux énergie-climat des 27 pays européens mènerait à une baisse de 54% des émissions d’ici 2030[10], atteignant presque l’objectif de -55%.
Emmanuel Macron a ensuite fixé ses conditions pour permettre l’adoption d’un objectif climatique ambitieux pour 2040 : “neutralité technologique, flexibilités, investissements et cohérence commerciale”.
Concernant la neutralité technologique, elle ne doit pas entraîner une mise sur le même plan de toutes les technologies sans planification préalable, au risque d’investir dans de fausses solutions. Le gaz fossile est ainsi encore trop souvent présenté comme une « solution de transition » et les biocarburants, disponibles en quantité limité et devant être priorisé dans le transport aérien et maritime, continuent d’être défendus dans les transports terrestres qui ont pourtant vocation à être électrifiés. A l’inverse, la neutralité technologique doit permettre de fixer un cadre équitable dans lequel se développent les technologies bas-carbone de long-terme (comme le développement conjoint des énergies renouvelables et du nucléaire pour la production d’électricité), en se fondant sur des bases scientifiques.
A ce titre, la directive sur les énergies renouvelables présente des défauts. Elle favorise d’un côté les bioénergies et défavorise l’électricité de l’autre[11] (car plus efficace donc utilisant moins d’énergie pour le même usage) : passer à une directive sur l’énergie bas-carbone utile aurait du sens. Cela ne doit bien sûr pas se faire au détriment des énergies renouvelables, qui représenteront quelles que soient les politiques menées en matière de nucléaire une large partie de l’énergie bas-carbone qui devra être déployée.
Concernant les flexibilités à apporter à l’atteinte de l’objectif, la Commission propose de permettre aux États d’acheter des crédits internationaux pour atteindre l’objectif 2040, dans la limite de 3%.
Si cette piste des crédits internationaux peut être explorée, par exemple pour renforcer nos partenariats internationaux en faveur du climat, il faut être prudent. Cette proposition ne doit pas devenir une porte de sortie pour éviter de réduire nos émissions nettes : leur réduction apporte des co-bénéfices non-négligeables que les crédits carbone ne nous apporteront pas, en matière de souveraineté, d’emplois, et de santé. Par ailleurs, il ne faut pas se leurrer, cela ne sera pas une solution magique car avec des critères stricts, ces crédits ne seront pas nécessairement moins chers que de réduire nos émissions localement.
Concernant les investissements et la cohérence commerciale, et plus généralement la politique industrielle européenne, il est clair que c’est un pilier essentiel pour permettre l’atteinte des objectifs climatiques, et c’est la vocation du Pacte pour l’industrie propre de la Commission européenne. La décarbonation, l’électrification et les économies d’énergie sont des vecteurs de compétitivité clés pour l’industrie européenne, qui devront être soutenus par la Banque de la décarbonation industrielle et par le prochain cadre financier pluriannuel de l’UE.
Les normes doivent s’appliquer de la même manière aux entreprises européennes et étrangères : pour cela, la politique commerciale doit protéger les industries européennes des surcapacités étrangères, faire payer le même prix du carbone avec le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières et mettre en place des mesures miroirs si nécessaire pour assurer des conditions de concurrence équitables. Se fixer un objectif climatique complémentaire en empreinte carbone doit pouvoir être exploré pour s’assurer que la baisse de nos émissions domestiques ne se transforme pas en fuites de carbone.
Une autre condition qui n’est pas évoquée par Emmanuel Macron est la soutenabilité sociale de la transformation écologique. Des politiques d’accompagnement, de protection et de développement de l’emploi sont nécessaires[12], ainsi que d’accompagnement des citoyens qui subiront le renchérissement de la transition dans l’énergie et les produits de consommation.
L’objectif de -90% en 2040 ne pourra donc pas se suffire à lui-même. Il devra être accompagné des politiques permettant son atteinte et son acceptation.
Cet objectif présente également l'opportunité de relancer une dynamique positive au niveau européen et international sur l’approfondissement de la transition et d’apporter la prévisibilité suffisante à l’industrie pour assurer la transformation profonde de leur activité.
Baisser nos émissions de -90% d'ici 2040 est nécessaire et souhaitable à condition de nous organiser pour y arriver. Alors organisons-nous !
[1] Greenblaming - La construction de l’épouvantail écologique, Construire l’écologie (2024)
[2] Forster, P. M., Smith, C., Walsh, T., Lamb, W. F. & al., 2025. Indicators of Global Climate Change 2024: annual update of key indicators of the state of the climate system and human influence. Earth System Science Data, vol. 17, p. 2641–2680, doi: 10.5194/essd‑17‑2641‑2025. Disponible à l’adresse : https://essd.copernicus.org/articles/17/2641/2025/essd-17-2641-2025.html
[3] Scientific advice for the determination of an EU-wide 2040 climate target and a greenhouse gas budget for 2030–2050, ESABCC (2023)
[4] Call for a 90% EU emissions reduction target to increase competitiveness and energy security objectives, Corporate Leaders Group (2025)
[5] Connaissance des Énergies. Royaume‑Uni : le gouvernement travailliste appelé à réduire les émissions nationales de 81 % d’ici 2035. 2026. Disponible à : https://www.connaissancedesenergies.org/afp/royaume-uni-le-gouvernement-travailliste-appele-reduire-les-emissions-nationales-de-81-dici-2035-241026
[6] Construire l’écologie, 2025. Chaque euro dépensé pour la transformation écologique est un euro investi pour la stabilité, pour la paix. Construire l’écologie, 18 mars 2025. Disponible à : https://www.construirelecologie.fr/post/chaque-euro-d%C3%A9pens%C3%A9-pour-la-transformation-%C3%A9cologique-est-un-euro-investi-pour-la-stabilit%C3%A9-pour-la
[7] Objectifs climat 2040 : ralentir, c’est périr, Alexandre Joly (2025)
[8] The European Union’s international climate leadership: towards a grand climate strategy?, S. Oberthür, C. Dupont (2021)
[10] Communication delivering the Union’s 2030 energy and climate objectives, Commission européenne (2025)
[11] From Inefficient to Efficient Renewable Heating: A Critical Assessment of the EU Renewable Energy Directive, J. Rosenow et al. (2025)
[12] Ne pas laisser la transformation écologique dans l’ornière - et les salariés qui en dépendent, Construire l’écologie (2024)