Protéger les emplois de celles et ceux qui construisent les bases d’une société décarbonée
[9 septembre 2024] Nous traversons un moment profondément contradictoire : alors qu'il est urgent de réorienter les salariés des industries écologiquement insoutenables vers des activités essentielles à la décarbonation et à la préservation de la biodiversité, les annonces de licenciements ou de retards dans l'expansion se multiplient dans les industries françaises et européennes cruciales pour une société durable.
La vacance du pouvoir pendant l’été 2024, ainsi que les incertitudes qui planent encore sur un budget qui devra être bouclé à la hâte, font perdre à la transition un temps précieux.
La chute importante des ventes de pompes à chaleur (PAC) air-eau en France au début de l’année 2024 a conduit à la mise en place d’un plan de licenciement dans l’usine de fabrication de PAC et de chaudières à gaz Saunier-Duval à Nantes. [Marie Greco et Eléonore Duplay. “Plan social chez Saunier Duval : 250 postes menacés à Nantes, "un coup de massue" pour les salariés”. France 3 Région (2024)]
Le démarrage et la montée en puissance des Giga-factories de batterie européennes est difficile et à risque dans un marché très compétitif. Les évolutions rapides de choix technologiques de chimie de cathode ajoutent de l’incertitude. Ainsi, la souveraineté européenne sur une technologie phare de la décarbonation des transports n’est pas encore assurée. [Guillaume Guichard. “Automobile : l’Europe sommée d'accélérer dans les batteries à bas coût”. Les Echos (2024)] [Guillaume Guichard. “Voiture électrique : les constructeurs en pleine zone de turbulence”. Les Echos (2024)]
Le retard pris dans la publication des appels d'offres pour de nouveaux parcs éoliens en mer, ainsi que le manque d’ambition pour l’éolien terrestre, contribue au licenciement de milliers d’intérimaires dans plusieurs usines d’éoliennes. [Emmanuel Guimard. “A Saint-Nazaire, General Electric divise par deux les effectifs de son usine d'éoliennes”. Les Echos (2024)]
Rappelons que les véhicules électriques (de taille raisonnable, associés à un essor des transports en commun et du vélo), les pompes à chaleur (combinées à la rénovation thermique des bâtiments) et les éoliennes (en complément du nucléaire, des panneaux solaires, et de politiques d’efficacité énergétique) sont essentiels pour éliminer progressivement les véhicules thermiques, les chaudières au fioul et au gaz fossile, et les centrales au charbon et au gaz fossile – des activités qui représentent une part significative de notre empreinte carbone. Par conséquent, l'augmentation de la production de batteries électriques, de PAC et d'éoliennes est une condition nécessaire, bien qu'insuffisante, pour sortir des énergies fossiles. Cette augmentation doit s'accompagner d'une reconversion juste des travailleurs des industries concernées.
Dans ce contexte, voir ces industries non pas croître, mais licencier, est un crève-cœur, une absurdité écologique et sociale. Certes, une partie de ces baisses de production est conjoncturelle, et des politiques publiques ont été mises en place (plan PAC, aides MaPrimeRenov’, leasing social, etc.) mais certaines de ces mesures sont elles-même menacées avec les contraintes budgétaires, empêchant la relance de la croissance de ces activités en 2025. Ces licenciements sont socialement désastreux – comme tout licenciement – et écologiquement insupportables. Ils entraînent des pertes de compétences qui seront difficiles à retrouver lorsque les besoins réapparaîtront, et érodent le soutien des travailleurs et de leur entourage à ces activités. Les salariés qui produisent des pompes à chaleur ont toutes les raisons d'être fiers de leur travail, qui contribue à un impact réduit, voire nul, sur l’environnement, le climat et la qualité de l’air. Ces licenciements jettent un doute sur la pérennité et la pertinence des politiques de transformation écologique, et rendent plus difficile l'organisation de la reconversion des travailleurs des industries écologiquement insoutenables : comment organiser des reconversions vers des secteurs qui licencient, même temporairement ?
Le gouvernement doit préserver et faire croître ces trois industries stratégiques pour la décarbonation et la réduction de la « dette écologique ». Il doit débloquer les appels d’offres pour de futurs parcs éoliens en mer, intégrer des critères de production écologiquement durable dans ces appels d’offres, conformément aux nouveaux droits offerts par le NZIA (Net Zero Industry Act), et, espérons-le, créer de nouveaux emplois dans les industries françaises de production et d’installation d’éoliennes. Le cap vers l’interdiction à la vente des véhicules thermiques d’ici 2035 doit être soutenu indéfectiblement par le renforcement des obligations d’achat de véhicules électriques par les entreprises, pour stimuler la demande et accélérer la création d’un marché de l’occasion, et par une extension plus large du leasing social avec des financements à la hauteur.. Un signal clair doit être donné concernant l’interdiction à venir de l’installation de nouvelles chaudières à gaz partout où il est possible de s’en passer. Il faut assurer un prix de l’électricité raisonnable, en mettant à plat les taxes (« accises ») sur l’énergie pour arrêter de pénaliser l’électricité, qui alimente les pompes à chaleur, par rapport aux énergies fossiles, tout en accompagnant les ménages modestes qui verraient leur facture augmenter. Tout cela doit être accompagné d’un discours public fondé sur la science, favorable à ces outils indispensables à la transformation écologique et à ceux qui les produisent. De tels enjeux exigent un engagement fort et continu du gouvernement, des parlementaires et des élus locaux.
La transformation écologique implique également une transformation des infrastructures qui permettent de nous chauffer, de nous déplacer et de produire l’énergie dont nous avons besoin. Pour qu’elle réussisse, il va être indispensable de protéger ceux qui en construisent les nouvelles bases.
L’Union Européenne a défini comme un enjeu stratégique l’appui aux politiques de décarbonation de l’économie, pour le climat, l’emploi et la sécurité ("Le rapport Draghi : texte intégral et points clefs". Le Grand Continent (2024)), on est donc fondé à s’interroger sur la concrétisation, à l’échelle nationale, de ces impératifs.